Décarbonation de la livraison

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Ce contenu d’expert réalisé suite au Think Tank CARA : Décarbonation de la livraison et amélioration de l’intermodalité de la logistique.

La Feuille de Route logistique et Transport de marchandises 2025-2026 proposée par l’Etat en coopération avec France Logistique débute en rappelant que « les activités de logistique et de transport de marchandises constituent des fonctions essentielles pour la vie quotidienne des Français et le bon fonctionnement de toute l’économie ».

Si elle est au cœur de notre quotidien, elle fait face à d’importants enjeux environnementaux. Les villes mettent en place des contraintes réglementaires (Type ZFE – Zones à Faibles Emissions, ou ZTL – Zones à Trafic Limité) afin d’améliorer la qualité de l’air en ville, impactée aussi en partie par la pollution des pots d’échappement liés aux activités de la logistique.

Ces initiatives poussent les entreprises à s’adapter et à revoir leur modèle d’approvisionnement. Néanmoins, elles rencontrent des difficultés du fait de leurs propres contraintes et obligations par rapport à la bonne conduite de leur activité.

C’est pourquoi, lors du Think Tank organisé le 10 décembre 2024, transporteurs, chargeurs, fabricants, consultants et logisticiens se sont réunis pour échanger autour de la question suivante :

Comment décarboner le secteur de la logistique en favorisant l’intermodalité et en améliorant son efficacité ?

Ce questionnement se positionnait ainsi à la croisée de deux grandes exigences qui nécessitent d’être satisfaites ensemble :

Tout d’abord, un impératif d’efficacité pour les entreprises : soumises à une logique de rentabilité, de conservation des emplois et de pérennisation de l’activité, elles doivent répondre aux exigences de leurs clients en termes de coûts du transport et de temps de livraison. Exigence provenant également des clients finaux.
Mais aussi un impératif environnemental, poussé par les institutions et les collectivités pour décarboner le secteur. En effet, en 2022, le secteur des transports est le premier contributeur aux émissions de gaz à effet de serre en France avec 32% du total émis[1], et il est le seul à avoir augmenté de 19% entre 1990 et 2023[2]. Et dans ce cadre, les transports de marchandises représentent 40% des émissions générées par le secteur, véhicules utilitaires légers et poids lourds confondus.

[1] Source : SDES, Bilan annuel des transports en 2022 – Edition 2023 / Site web
[2] Source : Infographies – les émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne, Toute L’Europe, 21/11/2024.

A ce titre, les pouvoirs publics se sont engagés dans des stratégies de diminution des émissions de GES (Ex : ZFE) pour atteindre la neutralité carbone[3] en 2050 (Stratégie Nationale Bas Carbone). Les réglementations découlant de cet objectif poussent les entreprises et le secteur de la logistique à se réorganiser pour s’adapter aux nouveaux standards, nécessitant de leur part des investissements et de la planification à moyen et long terme pour développer des outils leur permettant de continuer à livrer efficacement les marchandises tout en atteignant les objectifs de décarbonation.

[3] La neutralité carbone est définie par le Parlement Européen comme étant un équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption du carbone de l’atmosphère par les puits de carbone.

Pour les institutions qui les accompagnent dans cet effort, les outils utilisés seront financiers (subvention pour changement de flotte, etc.), règlementaires (schéma de logistique, etc.) ou d’aménagement (hubs de mobilité, création de nouvelles infrastructures, etc.).

Pour les entreprises, il s’agira de trouver une solution pour décarboner leurs livraisons en créant de nouveaux partenariats, en modifiant leur organisation, en planifiant leurs investissements pour modifier leur supply chain en conformité avec les nouvelles normes voire en anticipation des futures contraintes règlementaires pour s’assurer que leurs clients seront toujours livrés correctement.

Afin d’atteindre cet objectif de décarbonation, la collaboration est de mise, notamment pour mettre en place un système au sein duquel l’intermodalité fonctionne. Cette dernière désigne l’aptitude d’un système de transport à permettre l’utilisation successive d’au moins deux modes, intégrés dans une chaîne de déplacement (Source : Geo Confluences des savoirs, ENS Lyon).

L’intermodalité devient ainsi la pierre angulaire pour optimiser et décarboner la livraison. Les contraintes règlementaires évoquées précédemment veulent inciter les entreprises à changer leur mode de livraison, ce qui implique l’utilisation de plusieurs types de modes (du fluvial/maritime au ferroviaire, du routier au vélo-cargo/camionnette/autre).

En revanche, afin qu’elles soient efficaces et qu’elles incitent vraiment les professionnels à changer leurs méthodes, il est nécessaire de connaître leurs besoins pour concevoir un système intermodal fluide, attractif et adapté.

1. Les besoins des professionnels des transporteurs et des chargeurs pour la décarbonation de leur livraison et l’amélioration de l’efficacité de leur intermodalité

Lors du Think Tank, les participants ont pu s’exprimer au cours de 4 ateliers organisés en fonction des modes de transport (fluvial / véhicules décarbonés / vélo-cargo /ferroviaire). Les professionnels étaient répartis entre ces ateliers, et ont pu participer systématiquement à deux d’entre eux.

Il leur a été demandé de se projeter dans un monde idéal sans contrainte pour s’exprimer sur les modalités d’intermodalité qu’ils aimeraient voir puis, dans un second temps, de réfléchir sur ce dont ils avaient besoin pour converger vers les idées ainsi exprimées.

Les modérateurs répartis dans chaque atelier ont reporté les idées des participants. Elles ont ensuite été classées en trois grandes catégories :

  • Méthode de mise en œuvre de l’intermodalité et aménagement des infrastructures
  • Outils pratiques pour effectuer l’intermodalité
  • Communiquer, sensibiliser et promouvoir l’intermodalité pour conduire le changement des pratiques du secteur de la logistique

A. Les méthodes de mise en oeuvre de l’intermodalité et ls aménagements d’infrastructures nécessaires

Les idées avancées par les participants :
  • Mutualiser les wagons avec d’autres entreprises pour optimiser l’espace utilisé. Également, optimiser le temps de transport pour effectuer d’autres tâches productives (saisies des commandes, vérifications, etc.). Mutualiser les flux entre plusieurs donneurs d’ordres, des ressources (bornes de recharge, etc.)
  • Utiliser le tramway pour les livraisons du dernier kilomètre
  • Desservir les centres-villes en s’appuyant sur les infrastructures existantes, types quais du Rhône et de la Saône, pour multiplier leurs usages. L’idée serait de développer plusieurs destinations pour ces quais, qui sont pour le moment à Lyon en majorité utilisés pour un usage de loisirs. Également, créer un espace de logistique flottant directement relié aux quais (infrastructure mobile).
  • Accéder à la Rive Gauche et au Port de l’Occident en navette fluviale
  • Favoriser l’interconnexion des TMS pour faciliter l’intermodalité
  • Slow Logistics
  • Créer un standard de conteneurisation pour la logistique urbaine (entre la palette EU RO 80/120 et la caisse EURO 60/40)
  • Développer les espaces avec des bornes de recharge
  • Entretien et amélioration des infrastructures par l’action publique (qualité et multi-usage).

Les acteurs participant aux ateliers ont exprimé le besoin de trouver une méthode de mutualisation des wagons pour que le transport ferroviaire longue distance soit viable économiquement et optimisé.

Aussi, la création d’un standard de conteneurisation serait un outil efficace pour facilement passer les marchandises d’un mode à l’autre en minimisant au maximum le temps pris pour l’opération. Ce point suppose qu’un service intermédiaire entre les donneurs d’ordres s’assure de l’optimisation de ces échanges.

Par la proposition de mise en œuvre d’un tram-fret, notamment pour les livraisons du dernier kilomètre, les représentants des entreprises soulignent leur intérêt pour tester des solutions décarbonées (slow logistics, tram fret, etc.).

Également, la conception ou le remodelage des infrastructures a besoin d’être pensée pour un usage logistique. Les acteurs ont appuyé l’importance de travailler en coopération avec les aménageurs pour mutualiser les usages des infrastructures.

B. Les outils pratiques pour effectuer l’intermodalité

Les idées avancées des participants :
  • Créer une bourse de fret
  • Disposer d’une offre commerciale intéressante pour les chargeurs sans contraintes d’un point de vue économique
  • Créer une autorité organisatrice de la logistique
  • Stabilité règlementaire pour planifier les investissements
  • Etendre spatialement les aides allouées par les Métropoles au-delà de leurs limites administratives
  • Créer un facilitateur de financement à destination de la logistique urbaine durable non motorisée, de même type que la Banque Publique d’Investissement

Pour atteindre la décarbonation de la livraison, les acteurs ont fait mention de certains outils à mettre en œuvre. Les leviers financiers sont essentiels pour décarboner leur secteur.

En effet, les transporteurs et les chargeurs ont besoin qu’une offre commerciale abordable existe. Mais aussi que les obligations règlementaires soient claires pour garantir la viabilité des investissements dédiés à la décarbonation. Et enfin, qu’un organisme bien identifié puisse rassembler et mettre en cohérence les objectifs liés à l’organisation globale de la logistique.

Sans une réflexion globale de l’organisation de la logistique, il sera donc difficile de pérenniser les initiatives de décarbonation développées par les entreprises du secteur.

C. Communiquer, sensibiliser et promouvoir l’intermodalité pour conduire le changement des pratiques du secteur de la logistique

Les idées avancées par les participants :
  • Il y a une nécessiter de faire connaître la cyclologistique et le large spectre de ses possibilités d’usage.
  • Raisonner en coût global généralisé intégrant les coûts externes du transport routier de marchandises (la congestion, la pollution, le bruit, la dégradation de la chaussée, etc.).

La méconnaissance sur les potentialités de la cyclologistique est telle, que les simples communication et promotion de ces solutions décarbonées favorisent le passage des entreprises à des solutions de logistique différentes. De même, la transparence sur le coût du transport en intégrant les externalités négatives induites par le transport carboné pourrait être un outil pour inciter au changement des pratiques des entreprises du secteur en matière de logistique. Cela pourrait être renforcé par le développement d’infrastructures adaptées aux besoins des logisticiens (ex : développement des bornes de recharge, entretien et amélioration des infrastructures publiques). Également, les participants ont souligné que des actions de communication pourraient mettre en avant les usages possibles de la cyclo logistique et les gains économiques et environnementaux liés à l’utilisation d’une méthode de livraison décarbonée.

Pour que cela soit assez attractif pour les entreprises, les délais de livraison doivent toujours se trouver à un niveau acceptable. Et cela pour l’ensemble des parties prenantes, de la chaîne d’approvisionnement jusqu’au client final.

2. Les actions effectivement implémentables pour rendre l’intermodalité efficace et décarboner la livraison

Des pistes d’actions concrètes ont découlé de ces propositions. Faisant ressortir notamment l’importance de la collaboration entre acteurs privés et publics. Elles ont été réparties en quatre catégories :

Des aménagements adaptés aux usages :

  • mutualiser l’usage des quais et penser à la protection et sécurité des riverains, des marchandises et des engins de manutention;
  • réduire la hauteur des trottoirs, chanfreiner leurs angles;
  • créer des espaces de logistique éphémère pour faciliter le transfert des marchandises d’un mode à l’autre (les dépôts de bus par exemple peuvent être utilisés pour un transfert d’un mode motorisé vers un mode non motorisé tel que le vélo-cargo);
  • assurer une interopérabilité des systèmes d’information des acteurs de la chaine;
  • améliorer les connexions entre les entrepôts de départ des marchandises avec le mode fluvial.

De nouveaux matériels facilitant l’intermodalité :

  • concevoir un type de container (caisse euro) en dessous de la taille de la palette;
  • créer des vélos-cargos qui puissent être chargés par une seule personne.

Des outils règlementaires intégrant les modes de transport non routiers dans les documents de planification et dans les clauses de contrat de livraison

D’autres outils divers tels que :

  • la limitation du coût du transport décarboné;
  • l’aide à la décision des chargeurs pour mieux analyser les coûts de la livraison fluviale et faciliter la comparaison de ce mode avec les autres modes possibles;
  • la création d’instances mettant en lien les opérationnels du transport de marchandises fluvial avec les décideurs publics.

Conclusion

Ce Think Tank organisé sous forme d’ateliers a permis de faire émerger un grand nombre d’actions que les acteurs de la logistique souhaiteraient voir se développer afin d’atteindre l’objectif de décarbonation de leur secteur.

Parmi toutes celles évoquées dans ce compte-rendu, six ressortent plus particulièrement :

> Des actions sur les aménagements publics en lien avec les acteurs publics (Ex : Infrastructures pour faciliter le transbordement amont/aval, en facilitant l’accessibilité et le stockage des marchandises)

> Concevoir, pour les entreprises, de véhicules capables de s’adapter aux nouvelles contraintes réglementaires liées aux enjeux de décarbonation (Ex : Accepter le changement des modalités de livraison pour le client final (perte de confort, délai de livraison))

> Développer des types de conteneurisation standardisés pour faciliter l’intermodalité

> Former et informer les professionnels sur le potentiel des modes de livraison décarbonés au sein de leur Supply Chain

> Communiquer sur le coût réel d’une livraison réalisée par un transport carboné en y faisant apparaître le coût des externalités négatives pour rendre plus attractif et lisible les modes décarbonés pour les clients

> Créer une instance capable de penser et d’organiser la logistique dans l’objectif de faciliter l’intermodalité

Cette liste n’est pas exhaustive, pourtant elle rassemble les grandes catégories d’actions dans lesquelles les acteurs sont prêts à s’investir ou aimeraient que des initiatives soient réalisées pour décarboner le secteur de la logistique.

Du fait de leur pluralité et leurs natures diverses, il est entendu que ces actions ne pourront être efficaces que si elles sont pensées et développées en collaboration entre les entreprises et les entités publiques. A l’instar des instances de la logistique de la Métropole de Lyon, de telles actions nécessitent la mobilisation et la fédération de l’ensemble du secteur.