Le réemploi des batteries pour une mobilité durable pour tous
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Ce texte a été rédigé en janvier 2022 par Marwan Hassini, doctorant sur la seconde vie des batteries. Sa thèse intitulée « Batteries de seconde-vie dans une application de recharge : Maitrise du vieillissement » est financée par la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ses travaux de recherches sont menés au sein des laboratoires Ampère, Université de Lyon et Licit-Eco7, Université Gustave Eiffel et en partenariat avec l’entreprise Mob-Energy.
La mobilité électrique, une solution imparfaite
L’Europe prévoit de réduire de 90% les émissions de gaz à effet de serre provenant des transports d’ici à 2050 [1]. Ce chantier passera nécessairement par une profonde transformation de notre société façonnée et pour l’automobile à motorisation thermique.
Pour atteindre cet objectif, l’électrification des transports semble être l’option privilégiée par les
pouvoirs publics. Bien que la mobilité électrique présente l’avantage d’améliorer la qualité de l’air des villes et peut permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle n’est pas la solution miracle qui rendrait à elle seule nos habitudes de mobilités durables [2]. Le coût élevé de cette technologie interroge également sur sa faculté à répondre aux besoins de déplacements de
l’ensemble de la population [3].
Avec l’arrêt annoncé des motorisations thermiques à l’horizon 2035, la question du choix technologique pour la mobilité de demain ne peut être repoussée [4]. À ce jour, le véhicule électrique est de loin l’alternative la plus mature au véhicule thermique. Il convient désormais de travailler à rendre ce choix pertinent pour rendre notre mobilité plus durable et accessible à tous.
Dans un véhicule électrique, la batterie est l’élément qui requiert la plus grande attention du point
de vue de l’impact environnemental. De nombreuses études analysant le cycle de vie du véhicule
électrique montrent l’influence sur l’impact environnemental que peuvent avoir des facteurs tels
que [5] :
- la taille de la batterie,
- sa durée de vie,
- l’origine de l’énergie (nucléaire, issue de centrale à charbon, renouvelable) utilisée pour la produire et la recharger.
Pour décarboner la mobilité individuelle, il serait notamment judicieux de promouvoir l’utilisation
d’énergies faiblement carbonées, de privilégier des véhicules à autonomie réduites et d’adapter leur usage afin de prolonger au maximum leur durée de vie. Les pouvoirs publics comme les
individus ont donc un rôle à jouer dans cette quête vers une mobilité soutenable.
L’économie circulaire comme solution pour une mobilité durable pour tous
D’après l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) [6], l’économie
circulaire est un système économique qui vise à :
- augmenter l’efficacité d’utilisation des ressources,
- diminuer l’impact sur l’environnement,
- développer le bien être des individus
Dans le secteur automobile, la gestion de la fin des véhicules joue un rôle central pour augmenter
l’efficacité d’utilisation des ressources tout en réduisant le coût de ces véhicules et en créant de
l’emploi localement. Un véhicule est considéré en « fin de vie » lorsqu’il n’a plus les performances
suffisantes pour répondre aux besoins des automobilistes. Lorsque ce véhicule est électrique, le
vieillissement de la batterie peut être à l’origine d’une dégradation de l’autonomie qui n’est plus
acceptable.
Dans un rapport de 2020, l’ADEME indique que 549 véhicules électriques ont atteint la « fin de
vie » au cours de l’année 2018, ce qui représente 0,0005 % des véhicules en fin de vie sur cette
même année [7]. Ces faibles volumes sont un frein pour l’atteinte d’un équilibre économique par les recycleurs [8]. Dans l’attente de volumes plus importants et au regard des limites techniques
inhérentes au recyclage, les différents acteurs du marché du véhicule électrique imaginent des
alternatives à la stratégie classique de gestion de la fin de vie : le tout-recyclage [9] [10].
Le réemploi des batteries (ou seconde vie), une solution à déployer
D’un point de vue environnemental, le réemploi des batteries est à privilégier par rapport au recyclage puisque cette stratégie de gestion de la fin de vie permet de prolonger la durée de vie des produits et donc d’augmenter l’efficacité d’utilisation des ressources [11]. Juridiquement, le réemploi est défini comme l’opération par laquelle un objet qui n’est pas un déchet peut être utilisé à nouveau pour sa fonction initiale. Concrètement, le réemploi consiste à donner une seconde vie aux objets [12].
Cette stratégie a également un intérêt économique. D’abord, elle répond à un enjeu de souveraineté économique en permettant d’économiser des ressources minières critiques importées (lithium, cobalt, nickel, etc). Ensuite, les revenus générées par la vente des batteries en fin de vie peuvent permettre aux constructeurs automobiles de réduire le prix de ventes de leurs véhicules. Le réemploi des batteries permet donc de faciliter l’accès à la mobilité électrique au plus grand nombre. Finalement, cette stratégie peut se déployer au niveau local ce qui permet d’assurer la création d’emplois non délocalisables.
Si cette pratique est populaire pour les vêtements et les objets du quotidien, le réemploi des batteries en est encore à ses prémisses pour les batteries [13]. Les premières centaines de batteries disponibles pour une seconde vie sont exploitées dans différents projets pilotes impliquant des acteurs industriels et académiques [14]. Ces projets visent à évaluer l’intérêt économique et la faisabilité technique de la réutilisation de batteries lithium-ion usagées.
Les premières conclusions des projets pilotes montrent que l’usage en seconde vie et le degré de
collaboration des entreprises impliquées dans le projet impactent significativement l’intérêt
économique de ce marché . Les applications stationnaires de stockage d’énergie ont été
largement privilégiées dans ces projets. Néanmoins quelques projets à plus petite échelle ont
également testé l’utilisation de batteries de seconde vie dans des application mobiles comme des bateaux électriques ou des robots chargeurs de véhicules électriques [16] [17]. Les résultats de ces projets pilotes semblent avoir permis de lever les incertitudes économiques sur la réutilisation des batteries puisque de grands groupes comme Daimler ou Renault ont annoncé la mise en place d’usines dédiées à la seconde vie [18].
Les défis techniques liés au réemploi des batteries
Le réemploi des batteries soulève également des interrogations du point de vue de la faisabilité
technique. Trois verrous scientifiques restent encore à lever pour faciliter le déploiement des
batteries de seconde vie :
Estimation rapide de l’état de santé
L’estimation rapide de l’état de santé de la batterie est un prérequis pour l’usage en seconde vie. Sur une batterie neuve, l’état de santé n’a pas besoin d’être évalué à la réception. Tandis que sur une batterie qui a été sollicitée dans une première application et que l’on souhaite réutiliser, l’état de santé est méconnu. Afin de préserver l’intérêt économique de cette batterie de seconde vie, la
méthode de caractérisation doit être la plus rapide possible et nécessiter le moins de moyens humains et expérimentaux possibles [19].
Prédiction de la durée de vie restante
L’évaluation de la durée de vie restante permet d’anticiper la défaillance des batteries surveillées et d’affiner les modèles économiques d’assurance par exemple. Cette information est capitale pour évaluer l’intérêt économique sur le long terme de la batterie de seconde vie par rapport à la neuve.
Gestion des hétérogénéités de vieillissement
Étant donné les coûts prohibitifs du démontage et du réassemblage, les batteries de seconde vie sont généralement réutilisées sans modifications majeures de leurs structures. Or, les éléments vieillies constituant une batterie peuvent être particulièrement hétérogènes en terme d’état de santé.
Ces écarts peuvent contraindre l’utilisateur à limiter la sollicitation en fonction des caractéristiques
des éléments les moins performants. Pour faciliter l’usage de batteries contenant des éléments
hétérogènes, l’équilibrage est communément utilisé.
Cette solution vise à homogénéiser l’état de charge des différents éléments, pour permettre leurs
utilisations sur l’ensemble de la plage de fonctionnement [20]. La mise en place d’une stratégie
d’équilibrage permet dans une certaine mesure d’éviter le processus long et coûteux de
caractérisation et tri des cellules.
Conclusion
Notre mobilité ne deviendra pas durable par le simple fait d’être électrique. Les principes de
l’économie circulaire peuvent aider à atteindre cet idéal, néanmoins un certain nombre de freins
économiques et techniques restent encore à lever. Les travaux de recherche en cours visant à réduire son impact environnemental devraient permettre de tendre vers une mobilité plus soutenable.
Néanmoins face à l’urgence climatique des solution plus immédiates pourraient être mises en
places. Le remplissage des véhicules, le report modal vers des mobilités douces, la réduction de la masse des véhicules ou la réduction du besoin de transport sont sans doute des leviers tout aussi pertinents que l’électrification des véhicules [21].