Séminaire ERS vs H2 : quelles solutions pour un transport longue distance durable ?
- Zoom sur
- Hydrogène
Contexte du Think Tank ERS vs H2
Afin d’intensifier leur relation, les pôles Pôle Véhicule du Futur et CARA se sont associés via l’organisation d’un événement, les 10 et 11 janvier derniers, ayant pour ambition de faire se rencontrer leurs écosystèmes : Grand-Est – Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes. Le territoire couvert par ces écosystèmes représente la moitié Est de la France qui contient un axe majeur de circulation des marchandises et de personnes au niveau européen. C’est pourquoi nous nous devions traiter le sujet via la thématique des énergies et donc de l’ERS vs l’H2 pour le transport longue distance.
Le transport longue distance se caractérise par ses besoins de puissance, d’autonomie, de fiabilité, de durabilité, d’accès et de sécurité de l’approvisionnement en énergie. Dans un contexte réglementaire européen (FitFor55) et national (Loi d’Orientation des Mobilités) de plus en plus exigeant en matière de pollution et de réduction de gaz à effet de serre, la problématique de la décarbonation de ce secteur est de taille. Deux vecteurs d’énergie sont souvent envisagés comme solutions : la route électrifiée (ERS) et l’hydrogène (H2).
L’objectif de cet événement était d’étudier, de manière objective, la pertinence de ces deux vecteurs en conditions réelles et d’identifier leurs avantages/inconvénients/compatibilités avec d’autres vecteurs énergétiques (batterie, bioGNV, …) et solutions (ferroutage, maritime).
L’impact des mobilités sur le mix énergétique et la pertinence énergétique : La vision d’Ennedis
Plusieurs chiffres ont été fournis par Enedis afin de mesurer l’ampleur à laquelle le réseau électrique français doit s’adapter pour répondre à la transition écologique :
- Part de l’électricité dans la consommation énergétique finale en France : 25 % en 2021 vs 55 % en 2030
- Nombre de véhicules électriques légers : 200 000 en 2019, 800 000 en 2021 (x4), 17 000 000 en 2035 (x20)
- Nombre de points de recharges : 300 000 en 2019, 1 000 000 en 2021 (x3), 7 000 000 en 2035 (x7)
- Nombre de copropriétés équipées : 4 000 en 2021, 180 000 en 2035 (x45)
- Nombre de stations de production de H2 : 50 en 2021, 1 000 en 2035 (x20)
« Aux alentours de 2030, Enedis pourrait avoir à raccorder plus de 25 000 installations de recharge de véhicules électriques y compris dans le collectif résidentiel et 400 000 branchements annuels »
La diversité de la production, les nouveaux usages, les attentes sociétales (autoconsommation, communautés énergétiques) et le V2G constituent des défis supplémentaires. Enedis est donc mobilisé à tous les échelons territoriaux.
Sur le sujet de la mobilité électrique Enedis se positionne sur 2 enjeux majeurs :
L’impact des mobilités sur le mix et la performance énergétique : vision d’Enedis
- Le résidentiel collectif, l’IRVE en copropriétés : 89% des utilisateurs de VE déclarent se recharger à domicile contre 54% des utilisateurs VE habitant en immeuble collectif alors que 44% des Français vivent en immeuble collectif (80% en région parisienne et en zone urbaine).
- Recharge rapide sur autoroute : Aujourd’hui, 75 aires sont équipées en « station IRVE HPC » (High Power Charge ie au moins 2 bornes > 150 kW DC) alors qu’un décret impose aux Sociétés Concessionnaires d’Autoroute d’équiper toutes les aires de services en station IRVE ≥ 650 kW à horizon 1er janvier 2023. En 2035, la puissance électrique nécessaire par aire serait de 5 MW en moyenne et pourrait atteindre 16 MW pour les aires les plus fréquentées
Le transport longue distance durable : La vision de la FNTR
Les mobilités représentent le tiers de nos émissions de GES, parmi elles plus de 90 % sont d’origine routière. Hors, selon l’European Green Deal, nous devons diminuer les émissions de 90 % d’ici 2030 par rapport à 1990. Cela signifie que nous avons 8 ans pour réduire nos émissions de GES de 55 %. La mobilité routière est un levier majeur pour répondre à cet objectif.
Les transporteurs sont ainsi positionnés en première ligne face à cet objectif et il leur est demandé de réduire leurs émissions. Cependant ils sont déjà investis depuis bien longtemps via la démarche de performance. L’écoconduite est un exemple simple qui est déjà appliqué. Elle a permis de diminuer la consommation de 9 % en 10 ans. La diminution est ensuite soumise au renouvellement de flotte.
« Le besoin fondamental pour un transporteur est la visibilité. »
Ce sujet de la visibilité est abordé sous l’angle notamment du déploiement des infrastructures énergétiques, en garantissant l’accès aux nouveaux réseaux et de l’identification des conséquences sur la logistique. Pour assurer cette visibilité la FNTR est présente à Bruxelles et constate que des solutions apparaissent.
Tour d’horizon des solutions :
- Les biocarburants : ils sont adaptés aux flottes captives. Il faut toutefois être vigilant à la ressource et sa disponibilité.
- La route électrifiée : cette solution a les avantages de l’hydrogène (autonomie, temps à la pompe) et le silence de la batterie. Néanmoins la condition nécessaire à son développement est l’harmonisation au niveau européen.
En conclusion de son intervention la FNTR a affirmé que le Diesel devrait rester présent jusque 2040 au moins pour le transport lourd.
« Les couts liés à la transition énergétique sont considérables et devront être partagés sur l’ensemble de la population, y compris le consommateur final. »
Comment se positionnent les constructeurs de la filière pour répondre aux enjeux environnementaux et technologiques?
Selon l’Union des Entreprises Transport et Logistique de France les premières réflexions ont débuté dans les 70 avec l’arrivée des première normes Euro.
Scania est impliqué depuis 1927 avec l’arrivée du premier moteur gaz. Nuance, le gaz ne permet pas de décarboner mais constitue une première marche dans la démarche de décarbonation. Le bioGNV constitue une solution pertinente qu’il faut remettre dans le débat. Une progression très rapide des nouvelles énergies est prévue en 2023.
Liebherr a débuté la démarche via la commercialisation de la première pelle électrique il y a 30 ans. L’électrification de ce type de véhicule permet de diminuer les coûts et la maintenance associée.
La dépollution est-elle nécessaire avant la décarbonation ?
Pour Scania la dépollution constitue un défi sanitaire, la norme Euro VII implique de compter le nombre de particules et s’intéresse aussi aux particules émises par les pneumatiques. A cela s’ajoute le défi environnemental lié à la décarbonation. Ainsi, il y a urgence et on ne peut donc se permettre dans ce cadre de croire à une énergie « miracle », d’autant plus qu’une solution existe déjà : le bioGNV.
La décarbonation des carburants est une solution mais il faut aussi considérer l’augmentation de l’efficacité. Sur ce sujet les conducteurs sont conseillés en direct pendant leur conduite. Cela permet une réduction d’émission de CO2 tout en permettant une économie d’argent.
« Ce n’est pas parce que je roule à l’électrique que c’est propre. »
Concernant l’hydrogène, pour être pertinent il doit être bas-carbone mais cela le rend actuellement excessivement cher.
Quid du moteur thermique sachant son interdiction en 2035 ?
Selon Scania la moitié des véhicules neufs seront électriques en 2035. Il est aussi possible de jouer sur les processus industriels et les rendre eux aussi durables. De plus, comme évoqué précédemment, le consommateur final doit aussi changer sa manière de consommer, une livraison en 24h n’est pas durable.
Les mines sont-elles concernées par l’interdiction ? De prime abord elles ne le sont pas car il n’y a pas de réglementation sur les émissions, en revanche se sont les investisseurs qui souhaitent des placements « verts » alors que les mines véhiculent une mauvaise image. Toutefois banques et mines ne jouent pas à la même vitesse. Les banques souhaitent une transition du jour au lendemain alors que les miniers sont habituellement très conservateurs, il fallait auparavant 10 ans pour sortir un nouveau produit. La mine doit changer de modèle et incorporer l’innovation.
Comment produire une mixité énergétique à l’échelle industrielle ?
Le sujet est moins complexe qu’il n’y paraît, une cabine de camion sera essentiellement identique, à quelques détails près, peu importe la motorisation choisie. En revanche la mixité impose d’investir des milliards d’euros en Recherche & Développement. Sur le sujet les normes jouent un rôle majeur car se sont elles qui orientent la R&D. Les normes sur les cyberattaques en sont un exemple.
Comment se positionne le ferroutage ?
Un seul train de 850 m permet d’éviter la circulation de 50 semiconducteurs sur l’autoroute Luxembourg <=> Perpignan. On observe une augmentation de l’activité de ferroutage car la filière routière fait actuellement face à une pénurie de conducteurs (liée à la crise ukrainienne). Ce mode de transport permet au conducteur de rentrer chez lui le soir.
L’association TLF défend ce mode, d’autant plus qu’il constitue une solution au problème actuel de manque de chauffeurs.
Le ferroutage semble être une solution pertinente, néanmoins il est actuellement à l’état de saturation alors qu’il ne représente que 10% du trafic routier sur l’axe atlantique, comment aller au delà ?
Le ferroutage est en réalité la somme de deux éléments : les wagons et les terminaux de chargement. Le nombre de terminaux constitue un levier important pour le développement de cette solution cependant, ils sont issus de décisions politiques.
La taxe carbone est-elle une bonne idée ?
Il est difficile de donner une réponse, en revanche la formation du conducteur à l’écoconduite est un bon levier d’action. Les intervenants se sont accordés sur le fait qu’il est préférable d’aider au lieu de taxer.
« Il est préférable d’aider au lieu de taxer. »
De plus, avant les taxes les acteurs préféraient avoir de la visibilité sur la fiscalité. Actuellement on peut trouver par exemple une aide sur seulement 1 an et la plupart du temps il faut être réactif pour répondre aux AAPs. Aider au lieu de taxer, visibilité fiscale, l’état se doit aussi d’être agnostique en termes de motorisation et d’énergies, et se limiter uniquement à la réglementation.
L’hydrogène comme solution pour les mobilités longues distances ou mobilités intensives ?
Comment l’hydrogène est-il accepté ?
Les utilisateurs et conducteurs craignent l’hydrogène. La solution consiste à être transparent et informer la population. Côté sécurité, les réservoirs subissent 6 mois d’essai qui vont jusqu’au tir avant d’être commercialisés.
ERS vs H2 semblent être concurrents. Sont-ils complémentaires ?
Un véhicule Hydrogène qui pourrait admettre la recharge dynamique serait trop lourd. L’ERS présente l’avantage de ne plus avoir à passer par la case station-service. H2 serait ainsi réservé à un marché de niche lorsque le véhicule n’empreinte pas une route électrifiée.
Introduction technologie ERS par l’Université Gustave Eiffel
L’université a commencé son exposé en établissant un bref panorama des énergies :
- Gaz et biocarburants : ils ne permettent pas de décarboner complètement et peuvent entrer en conflit avec les denrées alimentaires
- Batteries et bornes de recharge rapide : les batteries ont une densité énergétique massique 5 à 10 fois inférieur à celle de l’essence/gazolegasoil. Le coût des batteries, l’enjeu des matériaux critiques, le risque d’incendie et la problématique du vieillissement s’y ajoutent. Côté recharge rapide cela convient pour les véhicules légers. En effet recharger rapidement des poids-lourds représenterait un besoin de 75 à 100 MW par parking. La recharge rapide entraîne de plus un surcoût et nécessite un refroidissement plus important.
- Pour l’hydrogène le coût énergétique est élevé. L’hydrogène n’étant pas une source d’énergie mais un moyen de stockage cela ajoute des conversions consommatrices d’énergie. Résultat : un rendement global aux environs de 25 %. Ainsi, selon l’UGE les applications non substituables de l’hydrogène (chimie et industrie) sont prioritaires. En quelques chiffres si le parc de PL 40t en France devait être converti à l’hydrogène cela représenterait 130 TWh soit la production de plus de 20 réacteurs de 900 MW. Alors qu’avec un mix ERS + batterie la consommation serait de 60 TWh (-54 %). En termes de coûts il est multiplié par 10 (350 k€ + 1,10-1,50€/km au lieu de 35 k€ + 0,5 €/km pour un Diesel, en temps normal).
Un réseau ERS permettrait à un PL de quitter l’autoroute avec une batterie chargée et d’atteindre tout point dans un rayon de 125 km
Université Gustave Eiffel
Cette solution permettrait de réduire la taille des batteries de 2/3 et de décarboner à hauteur de 85 % (vs Diesel) pour un TCO comparable à celui du Diesel. Ce réseau RTE-T représenterait un investissement de 30 à 40 Mds€ répartis en deux phases : phase-1 4900 km, phase-2 3950 km, total 8850 km.
La solution ERS permet aussi d’éviter la consommation de 180 000t de Nickel, qui est le matériau le plus critique des batteries, mais consommerait 200 000t de Cuivre.
Enfin, concernant le prix de revient à la tonne transportée, celui correspondant aux solutions ERS (caténaire, rail, induction) permettrait de le diminuer de 1 à 1,8 % vs gazole alors que pour la batterie il monte de plus de 40 %.
Complémentarité ou concurrence des solutions ERS
Cette table ronde a permis aux différents intervenants de présenter leurs solutions et axes de travail. Alstom a abordé ses solutions de recharge statique (pour les bus et tramway principalement) mais également dynamique avec recharge par rail au sol. Elonroad a également ré-évoqué sa technologie de charge par conduction, et Electreon par induction. Les solutions sont plus ou moins matures et en cours de démonstration (ou à venir). Stellantis expérimente également les solutions par induction d’Electreon en Italie et en France avec une solution propriétaire.
La première cible de la solution ERS est le maillage des autoroutes mais également des aéroports, ports et transports publics urbains. Les solutions par induction/conduction rendent l’installation des équipements véhicules faciles, le point de difficulté étant sur le déploiement de l’infrastructure et l’interopérabilité à grande échelle. 3 pays sont leaders en Europe : l’Allemagne, la Suède et la France. Néanmoins, les stratégies de développement diffèrent : l’Allemagne a une approche de développement incrémental alors que la France de déploiement à grande échelle pour atteindre une masse critique. La solution caténaire intéresse fortement les acteurs comme Liebherr car sont moins contraints en termes d’impact sur l’infrastructure.
La convergence technologique viendra avec l’avancée des expérimentations et les consensus qui pourront être réalisés entre les pays.
Comment se positionne la batterie ?
Il existe peu d’études comparatives sur les solutions batteries/batteries+ERS/H2-PAC+batteries, que ce soit en termes de TCO, de cout de production ou encore de cout de distribution / déploiement. Pour être pertinents dans les comparaisons ces différentes technologies doivent être analysées à partir d’une approche systémique et non se limiter à des facteurs isolés.
Bilan du Think Tank ERS vs H2
En conclusion et comme cela a été indiqué en introduction, l’événement a pu rassembler pendant 24h 70 personnes principalement issus des 3 régions Bourgogne-Franche-Comté, Grand-Est et Auvergne-Rhône-Alpes. L’intérêt de comparer les énergies de manière agnostique a permis l’apparition d’échanges riches.
L’équipe d’animation en retire ainsi un bilan très positif et souhaite réitérer l’expérience en janvier 2024 mais sur une thématique non identique et en cours de réflexion. Ce séminaire 2024 aura lieu à Lyon.
En note de fin, cela n’a pas été précisé dans ce résumé, un lieu d’idéation avait été mis en ligne. Celui-ci reposait sur un raisonnement par l’absurde qui consistait à trouver les pires idées pour augmenter le TCO des transports durables. La palme du jury a été versée à la proposition :
« Laisser les pétroliers et les gaziers piloter la transition écologique. » (Rire d’ingénieur)
Coïncidence, quelques jours plus tard nous avons appris la direction de la COP28 par un pétrolier du Qatar…